Séminaire « arts et sociétés » : « les choses » du 27 au 29 août 2018

Comme chaque année, la Fondation Hartung-Bergman – qui joue un rôle actif dans le soutien à la recherche en histoire de l’art – accueille le séminaire mené par Laurence Bertrand Dorléac du Centre d’histoire de Sciences Po.

Ce séminaire « Arts et Sociétés » autour du thème « Les choses » réunit une dizaine de chercheurs pour un atelier de travail.

Avec la participation de : Cécile Bargues, Annette Becker, Laurence Bertrand Dorléac, Samuel Bianchini, Matthieu Creson, Christian Delage, Laurent Derobert, Christian Duquennoi, Cécile Godefroy, François Hers, Daniel Malingre et Lei Saito.

POURQUOI REVENIR AUX CHOSES ?

Les artistes sont parmi les premiers à prendre au sérieux les choses, non pas comme avant tout inférieures, mais douées de charme, de sens et de facultés propres à donner matière à penser, à croire, à rêver. En les abandonnant à leur circulation, ils ont confié aux collectionneurs et aux musées le soin de classer leurs représentations. Or, il n’y a pas de « sujet » plus déstabilisant que les choses, qui ne vienne plus efficacement mettre en cause les catégories les plus assurées.

C’est aussi le constat des sciences humaines et sociales qui ont depuis longtemps considéré ces choses comme des objets complexes, dignes de « biographies » (Igor Kopytoff, Alfred Gell), qui ne se distinguent pas aussi facilement que cela des agents humains. Bruno Latour a largement contribué à imposer les « choses comme des faits sociaux », puissamment actives. Et comment ne pas voir leurs interactions dans la vie des gens, dans Playtime de Jacques Tati (1967), par exemple ?

Il s’agira donc d’étudier la portée des choses dans les représentations de toutes sortes (natures mortes ou non), fabriquées à l’aide de toutes les techniques, à toutes les époques. Moins pour nous détacher avec mépris de la matérialité que pour reconnaître ce qui, dans la culture matérielle, assure les pratiques mais aussi les savoirs et les croyances, l’aliénation ou la liberté. A cet égard, elles ont largement autant participé de l’oppression que de l’invention du quotidien (Michel de Certeau).

LES CHOSES

Fondation Hartung-Bergman

27-29 août 2018

CÉCILE BARGUES

Itinéraires de Dada, de l’incendie du Reichstag à la révolution en Espagne.
Quelques réflexions sur la destruction des œuvres d’art au XXe siècle, et leurs contrecoups dans la vie des artistes.

La Foire Dada, principale exposition du mouvement Dada à Berlin en 1920, comportait 174 œuvres et publications présentées aux murs. Aujourd’hui, 122 de ces œuvres sont détruites ou non localisées. Comment penser l’immense destruction dont le mouvement Dada fit l’objet? Dans un premier temps, il faudra isoler les causes et les effets de la persécution nazie contre Dada dans le contexte de l’art « dégénéré » en Allemagne, à partir de 1933 ; cela à partir de quelques « biographies » d’œuvres, et sans nous limiter à l’exposition diffamatoire « Entartete kunst », mais en traitant aussi des massacres d’ateliers et d’appartements par les SA au lendemain de l’incendie du Reichstag, par exemple. Dans un deuxième temps, nous chercherons à savoir comment les dadaïstes ont réagi à ce contexte, quels furent leurs engagements, leurs moyens de résistance, comment ils vécurent en somme. On examinera, en particulier, les itinéraires méconnus et mystérieux de Raoul Hausmann et Jefim Golyscheff pendant la révolution en Espagne à partir de 1936, à laquelle, séparément, ils prirent part.

Cécile Bargues est historienne de l’art. Elle réalise actuellement une recherche intitulée « Dada et ses fantômes », portant sur les œuvres dadas détruites et/ou reconstruites, recherche soutenue par une bourse Arts et sociétés de la Fondation de France. Elle a été commissaire de l’exposition « Raoul Hausmann » présentée au Point du Jour à Cherbourg puis au Jeu de Paume à Paris (automne 2017-printemps 2018), dont elle a également écrit le catalogue (traduit en anglais), Raoul Hausmann. Photographies 1927-1936 ; et auparavant commissaire associée au Centre Pompidou-Metz pour les expositions « Chefs-d’œuvre? » (2010) et « Hans Richter. La Traversée du siècle » (2013). Elle a publié un livre sur Raoul Hausmann (Raoul Hausmann. Après Dada, 2015), des essais sur Sophie Taeuber, Marcel Janco, Johannes Baader, Tristan Tzara, sur l’actualité de Dada dans les années 1950-1960 notamment. Spécialiste de Dada et de ses continuations, elle s’intéresse aux rapports entre art et politique.

ANNETTE BECKER

Des choses dans les musées des catastrophes, quelles choses ?

Les ruines des guerres les fosses de massacres, les camps de concentration, de travail forcé ou d’extermination, les prisons et lieux de torture sont devenus à leur tour musées où l’on expose des objets divers. Ou, à l’inverse, l’oubli, volontaire ou involontaire, occulte les traces ou en crée de nouvelles.  On y contourne le tabou de la mort, tout en exposant cette «histoire à toucher, métaphores des vies brisées. On peut se demander comment on peut faire réapparaître par ces « choses » la vie d’êtres humains alors que tout a été mis en œuvre pour les faire disparaître.

Annette Becker est Professeur à l’université de Paris-Nanterre, elle a énormément publié sur les deux guerres mondiales, leurs représentations, y compris chez les artistes les plus contemporains, leurs mémoires et occlusions. (Voir la Grande Guerre, un autre récit, (Armand-Colin, 2014), et Messagers du désastre, Raphaël Lemkin, Jan Karski et les génocides Fayard 2018. ) Elle dirige un projet Labex international sur les musées d’histoire et le Dark Tourism.

SAMUEL BIANCHINI

Behavioral Objects  Concevoir en expérimentant : comment des objets en mouvement nous proposent ce qu’ils pourraient être ?

Comment attribuer à des objets non figuratifs une personnalité traduite par une dimension comportementale afin de stimuler une relation “homme / objet” d’abord basée sur l’émotion et l’empathie plutôt que sur une finalité utilitaire ? Dans la mesure où ces objets robotisés non-anthropomorphiques, non-zoomorphiques et, plus largement, non-biomorphique ne disposent pas a priori de capacités expressives par leur forme, comment leur attribuer un caractère comportemental, voire vivant, si ce n’est par leur animation c’est-à-dire leur qualité de mouvement ? À partir de cette problématique, est développé, à EnsadLab – sous la dir. de Samuel Bianchini et Emanuele Quinz -, depuis plusieurs années, un projet de recherche pluridisciplinaire alliant sciences de l’ingénieur (robotique), art, sciences cognitives, anthropologie, philosophie et sciences des matériaux. Ce projet nous a amené à proposer la notion d’objets à comportements (Behavioral Objects).

Dès lors, comment concevoir de tels objets avec une approche artistique, dans une démarche de recherche-création basée sur la pratique ? S’il s’agit de renverser les points de vue et de considérer davantage l’agentivité des objets et des matériaux : comment faire ? Comment concevoir en faisant, en expérimentant, pour apprendre des objets, dans l’action ?

C’est cette situation qui est recherchée dans les nombreux workshops mis en place grâce au kit de robotique modulaire – le MisB KIT-, développé par l’équipe de recherche et de création Reflective Interaction à EnsadLab. Et c’est à partir de cette situation expérimentale que plusieurs projets de création sont nés. En retracer la genèse permet de mieux comprendre comment de tels objets “se conçoivent” tout en les inscrivant dans une histoire des objets à comportements, en art et en design, dont les sources sont principalement à situer dans la cybernétique.

Samuel Bianchini est artiste et enseignant-chercheur (Maître de conférences en Arts, habilité à diriger des recherches) à l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs (EnsAD, PSL Research University, Paris) où il dirige le groupe de recherche Reflective Interaction d’EnsadLab, laboratoire de l’EnsAD. Ses œuvres sont régulièrement exposées en Europe et à travers le monde : Waterfall Gallery (New York), Nuit Blanche Toronto, Medialab Prado (Madrid), Palais de Tokyo (Paris), Kunsthaus PasquArt (Bienne), Art Basel, Institut français de Tokyo, Stuk Art Center (Leuven), Centre Georges Pompidou (Paris), Deutsches Hygiene-Museum (Dresde), Musée national d’art contemporain d’Athènes, Jeu de Paume (Paris), Laboratoria (Moscou), Biennale de Théssalonique, Rencontres Chorégraphiques de Carthage, Centre pour l’image contemporaine de Genève, Biennale de Rennes, La Ménagerie de verre (Paris), space_imA et Duck-Won Gallery à Séoul, Nuit Blanche à Paris, Musée d’art contemporain Ateneo de Yucatán à Mexico, Cité des sciences et de l’industrie à Paris, Zentrum für Kunst und Medientechnologie (ZKM) à Karlsruhe,Musée d’art moderne de la Ville de Paris, La Villa Arson (Nice),etc.

Ses réalisations mettent en œuvre des opérations physiques autant que symboliques, en contexte, en public et en temps réel, nous incitant à contempler, à réfléchir autant qu’à agir. Soutenant le principe d’une “esthétique opérationnelle”, Samuel Bianchini interroge les rapports entre nos dispositifs technologiques les plus prospectifs, nos modes de représentation, nos nouvelles formes d’expériences esthétiques et nos organisations socio-politiques. Pour cela, il collabore avec des scientifiques et des laboratoires de recherche en ingénierie.

En relation étroite avec ses recherches et sa pratique artistique, il a entrepris un travail théorique qui donne lieu à de fréquentes publications : Éditions du Centre Pompidou, Éditions Jean-Michel Place, Analogues,Burozoïque,Hermes, Les presses du réel, Springer, etc.

Il a récemment publié, en codirection avec Erik Verhagen, l’ouvrage collectif Practicable. From Participation to Interaction in Contemporary Art, MIT Press, 2016 ; en codirection avec Emanuele Quinz, l’ouvrage collectif Behavioral Objects 1 – A Case Study : Céleste Boursier Mougenot, Sternberg Press, 2016 ; et, avec Mari Linnman, un ouvrage intitulé À Distances – Œuvrer dans les espaces publics, les Presses du réel, 2017.

MATTHIEU CRESON

Art et « première mondialisation » : le cas des objets dans les natures mortes peintes en France entre 1600 et 1650 environ.

On a souvent parlé, à propos des natures mortes du XVIIe siècle, d’écriture plastique ou symbolique, afin de donner un sens à la disposition des objets représentés sur la surface peinte, disposition pouvant nous paraître à première vue totalement désordonnée et aléatoire. Dans le cadre de mes recherches visant à proposer une relecture de ces œuvres, j’entends étudier ici la représentation d’objets ou de choses alors nouvellement apparu(e)s dans ces peintures – notamment les porcelaines chinoises bleu et blanc de type kraak, les coupes au nautile, ou encore certaines plantes ou fleurs alors fort en vue dans les jardins ou les cabinets de curiosité européens -, à l’aune de ce que l’on a pu appeler la « première mondialisation », caractérisée par l’ouverture grandissante au monde extérieur et l’essor sans précèdent des échanges commerciaux.

Matthieu Creson est doctorant en histoire de l’art à l’université Paris-Sorbonne, titulaire d’un master d’histoire de l’art de l’université de St Andrews et de masters en lettres et en philosophie. Il travaille dans le cadre de ses recherches en thèse sur la nature morte en France entre 1600 et 1650 environ, sujet que il tente de réinterpréter du point de vue de la curiosité, de l’ouverture au monde et des échanges commerciaux.

CHRISTIAN DELAGE

« L’archive comme chose »: le dossier judiciaire de l’affaire Louis Till.

La tradition judiciaire veut que lors d’un procès, les pièces du dossier soient exposées près du juge qui préside l’audience. La vue matérielle de ces éléments, essentiellement scripturaires, atteste, par leur factualité, des preuves qui ont conduit le juge à instruire un procès. Au pénal, il peut s’agir de témoignages reçus par la police judiciaire, puis le juge d’instruction. La valeur de l’écrit ainsi exhibé doit être rapportée aux conditions de quête et de réception du témoignage. Outre le jeu des questions/réponses, la transcription des propos tenus ne se fait pas par le témoin, mais par l’instance qui recueille ses paroles. Même dans le cadre d’une justice équitable et transparente et équitable, une sorte de reconstruction est mise en œuvre. Qu’en est-il quand ce cadre n’a pas été respecté ? Mais surtout, comment doit-on approcher un dossier judiciaire quand celui-ci, devenu archive, est proposé à l’analyse ?

Un romancier américain, John Edgar Wideman, s’est intéressé récemment au double cas de Louis et d’Emmett Till : d’abord au procès des criminels qui ont lynché le jeune africain-américain Emmet Till en 1955 pour avoir supposément sifflé une femme blanche (un meurtre qui va déclencher la bataille pour les droits civils des Africains-Américains) puis à celui de son père, Louis Till. En effet, au moment de la décision du grand jury, les avocats des criminels d’Emmett ont trouvé et ressorti le dossier de Louis, accusé d’avoir violé une femme blanche en Italie alors qu’il y stationnait à la fin de la Deuxième Guerre mondiale en 1945 et avait été exécuté. Ce dossier va convaincre les jurés de la vraisemblance de la culpabilité d’Emmett par des comportements récurrents de père en fils.

Au moment de la réception par la poste d’une copie de ce dossier, John Edgar Wideman a un moment d’arrêt devant son aspect matériel, dont le côté jauni et l’odeur le répulsent. Cette « chose » pourra-t-elle l’aider à comprendre ce qui s’est passé en 1945, ou au contraire, lui confirmera-t-elle le caractère probablement expéditif et inéquitable du procès intenté au jeune soldat Louis Till, dans une époque de ségrégation des Africains-Américains dans l’armée américaine ? La constitution physique de ce dossier constitue-t-elle en elle-même une trace de cet événement ?

Christian Delage est historien et réalisateur. Professeur des universités, il enseigne à l’université Paris 8 et à la Cardozo Law School (New York). Il est actuellement Directeur de l’Institut d’histoire du temps présent (CNRS/Paris 8), où il anime un séminaire sur les « Médiations de l’histoire » avec Guillaume Mazeau, et un groupe de recherche sur la mémoire des attentats du 13 novembre 2015. Son livre, L’Historien et le film, écrit avec Vincent Guigueno, ressort en septembre 2018 chez Gallimard dans une nouvelle édition. Son dernier film, De Hollywood à Nuremberg. John Ford, Samuel Fuller, George Stevens, réalisé en 2013, a reçu une Étoile de la Scam.

CHRISTIAN DUQUENNOI

Ces choses que l’on nomme déchets : du coin de la rue au « carrefour des disciplines » 

Le déchet est certainement une des choses les plus triviales de notre monde. Objet trivial au sens courant d’abord, car son existence « va de soi » : dans notre cuisine, au coin de la rue, la poubelle fait partie de notre paysage domestique, urbain ou rural. Objet banal, dont l’étude n’est pas digne d’intérêt, donc, tout comme en mathématique lorsqu’on parle de problème trivial. Objet trivial aussi au sens péjoratif, car le déchet est associé dans notre inconscient aristotélicien à ce qu’il y a de plus « bas », l’excrément. Objet grossier dont la vulgarité est reflétée par ses synonymes : ordure, immondice, etc. Un objet tellement grossier, bas et vulgaire que l’étymologie même du mot déchet, qui a remplacé dans la terminologie officielle de la fin du XXe siècle, au moins partiellement, ses synonymes, fait référence à la trajectoire du diable, ange déchu tombé au plus bas. Le déchet est de la matière déchue, tombée du paradis des objets et substances nobles et vouée à l’enfer cloacal de la décharge et au feu inquisitorial de l’incinérateur.

Le déchet est cependant un sujet de société de plus en plus prégnant, voire un sujet d’actualité de plus en plus brûlant : trafics de déchets toxiques, enfouissement des déchets radioactifs, déchets de plastique dans les océans, entre autres, sont devenus des « problématiques » qui échappent aujourd’hui à la trivialité mathématique. En excès, certains déchets se sont désormais hissés au rang d’objets dignes de l’intérêt des ingénieurs, des économistes, des sociologues, voire des philosophes. Nous devons d’ailleurs l’expression mentionnée dans notre titre, « au carrefour des disciplines », à un philosophe, Cyril Harpet, qui dans sa thèse de doctorat parle à propos du déchet d’ «objet universel à même de susciter une synergie pluridisciplinaire».

Quand on tente une approche scientifique de la notion de déchets, on est rapidement confronté à la relativité de cette dernière. Des expériences de pensée extrêmement simples permettent par ailleurs de mettre en évidence la frontière floue qui existe entre la chose « déchet » et la chose « non-déchet », un flou lié en particulier à l’absence de cadre épistémique transdisciplinaire qui rendrait intelligibles les propriétés générales de ces choses que l’on qualifie de déchets. Pour tenter de combler ce manque, nous proposons une approche systémique de la notion de déchet. Nous relions cette notion à des objets ontologiques plus rigoureusement définis et mettons en évidence des propriétés élémentaires non seulement attractives d’un point de vue théorique, mais potentiellement pertinentes d’un point de vue pratique dans un contexte où le débat fera peut-être bientôt rage, si ce n’est déjà le cas, entre tenants du « zéro déchet », partisans de l’économie circulaire, sceptiques d’ une gestion industrielle « high tech » des déchets, défenseurs de la décroissance ou fidèles du « business as usual ».

Christian Duquennoi est ingénieur de recherche, spécialiste des bioprocédés de valorisation des déchets, à Irstea. Depuis de nombreuses années, il s’intéresse à ce curieux objet de recherches pluridisciplinaires par essence, les déchets, bien au-delà des technologies permettant leur traitement ou leur valorisation. En ce sens, il a écrit Les Déchets, du big bang à nos jours, aux éditions Quæ en 2015 et a été coordonnateur scientifique de Déchets : changez-vous les idées, écrit par Isabelle Bellin aux éditions Quæ en 2018.

CÉCILE GODEFROY

Ut Pictura Musica ? Représentations de la musique dans le cubisme de Picasso.

Si Picasso s’est plu à déclarer ne pas aimer la musique, une attention portée au corpus peint, dessiné et sculpté de son œuvre permet de déceler un intérêt considérable pour l’imaginaire musical. Dès les premières années, scènes de cabaret et de cirque, saltimbanques-musiciens et joueurs de luth, se succèdent suivant un langage pictural en constant renouvellement. La rémanence des guitares et des mandolines, puis des violons, dans les années cubistes est significative de l’intérêt voué, par les cubistes en général, Picasso en particulier, aux instruments à corde, que ce dernier collectionne et dont le corps creux lui offre d’expérimenter le volume et le dessin, le contenu et le contenant, le vide et le plein, jouant de l’inversion des signes de la représentation. La guitare, parce qu’elle renvoie davantage aux origines espagnoles de Picasso et qu’elle symbolise le corps de la femme, constitue un motif de prédilection développé dans la peinture, les papiers collés et les assemblages : conciliant culture savante et populaire, sacré et profane, langage cubiste et illusionnisme, l’instrument redevient objet en trois dimensions, soit une nature morte tangible, hissée à l’échelle de l’atelier. Pendant la phase synthétique, Picasso étend son champ lexical aux partitions de chansons populaires qui creusent le rapport entre art présupposé savant (la peinture, détournée de ses conventions) et vernaculaire (Déodat de Séverac, Marcel Legay, Fragson) sur le mode de la fragmentation cubiste. Notre intervention consistera à réévaluer les modalités de représentation cubiste de la musique chez Picasso afin d’en examiner l’origine et la portée esthétique.

Cécile Godefroy est docteur en histoire de l’art contemporain, elle enseigne à New York University – Paris. Critique d’art et commissaire d’exposition indépendante, elle a récemment co-organisé les expositions « Picasso. Sculptures » au Musée national Picasso-Paris et au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles – Bozar (2016-17) ; « Sonia Delaunay. Les couleurs de l’abstraction », au Musée d’art Moderne de la Ville de Paris et à la Tate Modern de Londres (2014-15). Auteur d’essais sur l’art moderne et contemporain, elle a récemment codirigé l’ouvrage Picasso dans l’atelier/Picasso in the Studio (Cahiers d’art, 2015), et elle prépare actuellement l’exposition « Les Musiques de Picasso » au Musée de la Musique – Philharmonie à Paris (printemps-été 2020).

THOMAS SCHLESSER

Ces choses qui font rêver, de la cervelle de chat au demi-masque de métal : une autre histoire de l’objet des fantasmes…

Illustration en page d’accueil :

Anna-Eva Bergman, [Non titré], 1950, Tempera et encre de Chine sur panneau de bois isorel, 12,4 x 27,7 cm, Collection Fondation Hartung-Bergman

Comme chaque année, la Fondation Hartung-Bergman – qui joue un rôle actif dans le soutien à la recherche en histoire de l’art – accueille le séminaire mené par Laurence Bertrand Dorléac du Centre d’histoire de Sciences Po.

Ce séminaire « Arts et Sociétés » autour du thème « Les choses » réunit une dizaine de chercheurs pour un atelier de travail.

Avec la participation de : Cécile Bargues, Annette Becker, Laurence Bertrand Dorléac, Samuel Bianchini, Matthieu Creson, Christian Delage, Laurent Derobert, Christian Duquennoi, Cécile Godefroy, François Hers, Daniel Malingre et Lei Saito.

POURQUOI REVENIR AUX CHOSES ?

Les artistes sont parmi les premiers à prendre au sérieux les choses, non pas comme avant tout inférieures, mais douées de charme, de sens et de facultés propres à donner matière à penser, à croire, à rêver. En les abandonnant à leur circulation, ils ont confié aux collectionneurs et aux musées le soin de classer leurs représentations. Or, il n’y a pas de « sujet » plus déstabilisant que les choses, qui ne vienne plus efficacement mettre en cause les catégories les plus assurées.

C’est aussi le constat des sciences humaines et sociales qui ont depuis longtemps considéré ces choses comme des objets complexes, dignes de « biographies » (Igor Kopytoff, Alfred Gell), qui ne se distinguent pas aussi facilement que cela des agents humains. Bruno Latour a largement contribué à imposer les « choses comme des faits sociaux », puissamment actives. Et comment ne pas voir leurs interactions dans la vie des gens, dans Playtime de Jacques Tati (1967), par exemple ?

Il s’agira donc d’étudier la portée des choses dans les représentations de toutes sortes (natures mortes ou non), fabriquées à l’aide de toutes les techniques, à toutes les époques. Moins pour nous détacher avec mépris de la matérialité que pour reconnaître ce qui, dans la culture matérielle, assure les pratiques mais aussi les savoirs et les croyances, l’aliénation ou la liberté. A cet égard, elles ont largement autant participé de l’oppression que de l’invention du quotidien (Michel de Certeau).

LES CHOSES

Fondation Hartung-Bergman

27-29 août 2018

CÉCILE BARGUES

Itinéraires de Dada, de l’incendie du Reichstag à la révolution en Espagne.
Quelques réflexions sur la destruction des œuvres d’art au XXesiècle, et leurs contrecoups dans la vie des artistes.

La Foire Dada, principale exposition du mouvement Dada à Berlin en 1920, comportait 174 œuvres et publications présentées aux murs. Aujourd’hui, 122 de ces œuvres sont détruites ou non localisées. Comment penser l’immense destruction dont le mouvement Dada fit l’objet? Dans un premier temps, il faudra isoler les causes et les effets de la persécution nazie contre Dada dans le contexte de l’art « dégénéré » en Allemagne, à partir de 1933 ; cela à partir de quelques « biographies » d’œuvres, et sans nous limiter à l’exposition diffamatoire « Entartete kunst », mais en traitant aussi des massacres d’ateliers et d’appartements par les SA au lendemain de l’incendie du Reichstag, par exemple. Dans un deuxième temps, nous chercherons à savoir comment les dadaïstes ont réagi à ce contexte, quels furent leurs engagements, leurs moyens de résistance, comment ils vécurent en somme. On examinera, en particulier, les itinéraires méconnus et mystérieux de Raoul Hausmann et Jefim Golyscheff pendant la révolution en Espagne à partir de 1936, à laquelle, séparément, ils prirent part.

Cécile Bargues est historienne de l’art. Elle réalise actuellement une recherche intitulée « Dada et ses fantômes », portant sur les œuvres dadas détruites et/ou reconstruites, recherche soutenue par une bourse Arts et sociétés de la Fondation de France. Elle a été commissaire de l’exposition « Raoul Hausmann » présentée au Point du Jour à Cherbourg puis au Jeu de Paume à Paris (automne 2017-printemps 2018), dont elle a également écrit le catalogue (traduit en anglais), Raoul Hausmann. Photographies 1927-1936 ; et auparavant commissaire associée au Centre Pompidou-Metz pour les expositions « Chefs-d’œuvre? » (2010) et « Hans Richter. La Traversée du siècle » (2013). Elle a publié un livre sur Raoul Hausmann (Raoul Hausmann. Après Dada, 2015), des essais sur Sophie Taeuber, Marcel Janco, Johannes Baader, Tristan Tzara, sur l’actualité de Dada dans les années 1950-1960 notamment. Spécialiste de Dada et de ses continuations, elle s’intéresse aux rapports entre art et politique.

ANNETTE BECKER

Des choses dans les musées des catastrophes, quelles choses ?

Les ruines des guerres les fosses de massacres, les camps de concentration, de travail forcé ou d’extermination, les prisons et lieux de torture sont devenus à leur tour musées où l’on expose des objets divers. Ou, à l’inverse, l’oubli, volontaire ou involontaire, occulte les traces ou en crée de nouvelles.  On y contourne le tabou de la mort, tout en exposant cette «histoire à toucher, métaphores des vies brisées. On peut se demander comment on peut faire réapparaître par ces « choses » la vie d’êtres humains alors que tout a été mis en œuvre pour les faire disparaître.

Annette Becker est Professeur à l’université de Paris-Nanterre, elle a énormément publié sur les deux guerres mondiales, leurs représentations, y compris chez les artistes les plus contemporains, leurs mémoires et occlusions. (Voir la Grande Guerre, un autre récit,(Armand-Colin, 2014), et Messagers du désastre, Raphaël Lemkin, Jan Karski et les génocides Fayard 2018. ) Elle dirige un projet Labex international sur les musées d’histoire et le Dark Tourism.

SAMUEL BIANCHINI

Behavioral Objects  Concevoir en expérimentant : comment des objets en mouvement nous proposent ce qu’ils pourraient être ?

Comment attribuer à des objets non figuratifs une personnalité traduite par une dimension comportementale afin de stimuler une relation “homme / objet” d’abord basée sur l’émotion et l’empathie plutôt que sur une finalité utilitaire ? Dans la mesure où ces objets robotisés non-anthropomorphiques, non-zoomorphiques et, plus largement, non-biomorphique ne disposent pas a priori de capacités expressives par leur forme, comment leur attribuer un caractère comportemental, voire vivant, si ce n’est par leur animation c’est-à-dire leur qualité de mouvement ? À partir de cette problématique, est développé, à EnsadLab – sous la dir. de Samuel Bianchini et Emanuele Quinz -, depuis plusieurs années, un projet de recherche pluridisciplinaire alliant sciences de l’ingénieur (robotique), art, sciences cognitives, anthropologie, philosophie et sciences des matériaux. Ce projet nous a amené à proposer la notion d’objets à comportements (Behavioral Objects).

Dès lors, comment concevoir de tels objets avec une approche artistique, dans une démarche de recherche-création basée sur la pratique ? S’il s’agit de renverser les points de vue et de considérer davantage l’agentivité des objets et des matériaux : comment faire ? Comment concevoir en faisant, en expérimentant, pour apprendre des objets, dans l’action ?

C’est cette situation qui est recherchée dans les nombreux workshops mis en place grâce au kit de robotique modulaire – le MisB KIT-, développé par l’équipe de recherche et de création Reflective Interaction à EnsadLab. Et c’est à partir de cette situation expérimentale que plusieurs projets de création sont nés. En retracer la genèse permet de mieux comprendre comment de tels objets “se conçoivent” tout en les inscrivant dans une histoire des objets à comportements, en art et en design, dont les sources sont principalement à situer dans la cybernétique.

Samuel Bianchini est artiste et enseignant-chercheur (Maître de conférences en Arts, habilité à diriger des recherches) à l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs (EnsAD, PSL Research University, Paris) où il dirige le groupe de recherche Reflective Interaction d’EnsadLab, laboratoire de l’EnsAD. Ses œuvres sont régulièrement exposées en Europe et à travers le monde : Waterfall Gallery (New York), Nuit Blanche Toronto, Medialab Prado (Madrid), Palais de Tokyo (Paris), Kunsthaus PasquArt (Bienne), Art Basel, Institut français de Tokyo, Stuk Art Center (Leuven), Centre Georges Pompidou (Paris), Deutsches Hygiene-Museum (Dresde), Musée national d’art contemporain d’Athènes, Jeu de Paume (Paris), Laboratoria (Moscou), Biennale de Théssalonique, Rencontres Chorégraphiques de Carthage, Centre pour l’image contemporaine de Genève, Biennale de Rennes, La Ménagerie de verre (Paris), space_imA et Duck-Won Gallery à Séoul, Nuit Blanche à Paris, Musée d’art contemporain Ateneo de Yucatán à Mexico, Cité des sciences et de l’industrie à Paris, Zentrum für Kunst und Medientechnologie (ZKM) à Karlsruhe, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, La Villa Arson (Nice),etc.

Ses réalisations mettent en œuvre des opérations physiques autant que symboliques, en contexte, en public et en temps réel, nous incitant à contempler, à réfléchir autant qu’à agir. Soutenant le principe d’une “esthétique opérationnelle”, Samuel Bianchini interroge les rapports entre nos dispositifs technologiques les plus prospectifs, nos modes de représentation, nos nouvelles formes d’expériences esthétiques et nos organisations socio-politiques. Pour cela, il collabore avec des scientifiques et des laboratoires de recherche en ingénierie.

En relation étroite avec ses recherches et sa pratique artistique, il a entrepris un travail théorique qui donne lieu à de fréquentes publications : Éditions du Centre Pompidou, Éditions Jean-Michel Place, Analogues,Burozoïque,Hermes, Les presses du réel, Springer, etc.

Il a récemment publié, en codirection avec Erik Verhagen, l’ouvrage collectif Practicable. From Participation to Interaction in Contemporary Art, MIT Press, 2016 ; en codirection avec Emanuele Quinz, l’ouvrage collectif Behavioral Objects 1 – A Case Study : Céleste Boursier Mougenot, Sternberg Press, 2016 ; et, avec Mari Linnman, un ouvrage intitulé À Distances – Œuvrer dans les espaces publics, les Presses du réel, 2017.

MATTHIEU CRESON

Art et « première mondialisation » : le cas des objets dans les natures mortes peintes en France entre 1600 et 1650 environ.

On a souvent parlé, à propos des natures mortes du XVIIe siècle, d’écriture plastique ou symbolique, afin de donner un sens à la disposition des objets représentés sur la surface peinte, disposition pouvant nous paraître à première vue totalement désordonnée et aléatoire. Dans le cadre de mes recherches visant à proposer une relecture de ces œuvres, j’entends étudier ici la représentation d’objets ou de choses alors nouvellement apparu(e)s dans ces peintures – notamment les porcelaines chinoises bleu et blanc de type kraak, les coupes au nautile, ou encore certaines plantes ou fleurs alors fort en vue dans les jardins ou les cabinets de curiosité européens -, à l’aune de ce que l’on a pu appeler la « première mondialisation », caractérisée par l’ouverture grandissante au monde extérieur et l’essor sans précèdent des échanges commerciaux.

Matthieu Creson est doctorant en histoire de l’art à l’université Paris-Sorbonne, titulaire d’un master d’histoire de l’art de l’université de St Andrews et de masters en lettres et en philosophie. Il travaille dans le cadre de ses recherches en thèse sur la nature morte en France entre 1600 et 1650 environ, sujet que il tente de réinterpréter du point de vue de la curiosité, de l’ouverture au monde et des échanges commerciaux.

CHRISTIAN DELAGE

« L’archive comme chose »: le dossier judiciaire de l’affaire Louis Till.

La tradition judiciaire veut que lors d’un procès, les pièces du dossier soient exposées près du juge qui préside l’audience. La vue matérielle de ces éléments, essentiellement scripturaires, atteste, par leur factualité, des preuves qui ont conduit le juge à instruire un procès. Au pénal, il peut s’agir de témoignages reçus par la police judiciaire, puis le juge d’instruction. La valeur de l’écrit ainsi exhibé doit être rapportée aux conditions de quête et de réception du témoignage. Outre le jeu des questions/réponses, la transcription des propos tenus ne se fait pas par le témoin, mais par l’instance qui recueille ses paroles. Même dans le cadre d’une justice équitable et transparente et équitable, une sorte de reconstruction est mise en œuvre. Qu’en est-il quand ce cadre n’a pas été respecté ? Mais surtout, comment doit-on approcher un dossier judiciaire quand celui-ci, devenu archive, est proposé à l’analyse ?

Un romancier américain, John Edgar Wideman, s’est intéressé récemment au double cas de Louis et d’Emmett Till : d’abord au procès des criminels qui ont lynché le jeune africain-américain Emmet Till en 1955 pour avoir supposément sifflé une femme blanche (un meurtre qui va déclencher la bataille pour les droits civils des Africains-Américains) puis à celui de son père, Louis Till. En effet, au moment de la décision du grand jury, les avocats des criminels d’Emmett ont trouvé et ressorti le dossier de Louis, accusé d’avoir violé une femme blanche en Italie alors qu’il y stationnait à la fin de la Deuxième Guerre mondiale en 1945 et avait été exécuté. Ce dossier va convaincre les jurés de la vraisemblance de la culpabilité d’Emmett par des comportements récurrents de père en fils.

Au moment de la réception par la poste d’une copie de ce dossier, John Edgar Wideman a un moment d’arrêt devant son aspect matériel, dont le côté jauni et l’odeur le répulsent. Cette « chose » pourra-t-elle l’aider à comprendre ce qui s’est passé en 1945, ou au contraire, lui confirmera-t-elle le caractère probablement expéditif et inéquitable du procès intenté au jeune soldat Louis Till, dans une époque de ségrégation des Africains-Américains dans l’armée américaine ? La constitution physique de ce dossier constitue-t-elle en elle-même une trace de cet événement ?

Christian Delage est historien et réalisateur. Professeur des universités, il enseigne à l’université Paris 8 et à la Cardozo Law School (New York). Il est actuellement Directeur de l’Institut d’histoire du temps présent (CNRS/Paris 8), où il anime un séminaire sur les « Médiations de l’histoire » avec Guillaume Mazeau, et un groupe de recherche sur la mémoire des attentats du 13 novembre 2015. Son livre, L’Historien et le film, écrit avec Vincent Guigueno, ressort en septembre 2018 chez Gallimard dans une nouvelle édition. Son dernier film, De Hollywood à Nuremberg. John Ford, Samuel Fuller, George Stevens, réalisé en 2013, a reçu une Étoile de la Scam.

CHRISTIAN DUQUENNOI

Ces choses que l’on nomme déchets : du coin de la rue au « carrefour des disciplines » 

Le déchet est certainement une des choses les plus triviales de notre monde. Objet trivial au sens courant d’abord, car son existence « va de soi » : dans notre cuisine, au coin de la rue, la poubelle fait partie de notre paysage domestique, urbain ou rural. Objet banal, dont l’étude n’est pas digne d’intérêt, donc, tout comme en mathématique lorsqu’on parle de problème trivial. Objet trivial aussi au sens péjoratif, car le déchet est associé dans notre inconscient aristotélicien à ce qu’il y a de plus « bas », l’excrément. Objet grossier dont la vulgarité est reflétée par ses synonymes : ordure, immondice, etc. Un objet tellement grossier, bas et vulgaire que l’étymologie même du mot déchet, qui a remplacé dans la terminologie officielle de la fin du XXe siècle, au moins partiellement, ses synonymes, fait référence à la trajectoire du diable, ange déchu tombé au plus bas. Le déchet est de la matière déchue, tombée du paradis des objets et substances nobles et vouée à l’enfer cloacal de la décharge et au feu inquisitorial de l’incinérateur.

Le déchet est cependant un sujet de société de plus en plus prégnant, voire un sujet d’actualité de plus en plus brûlant : trafics de déchets toxiques, enfouissement des déchets radioactifs, déchets de plastique dans les océans, entre autres, sont devenus des « problématiques » qui échappent aujourd’hui à la trivialité mathématique. En excès, certains déchets se sont désormais hissés au rang d’objets dignes de l’intérêt des ingénieurs, des économistes, des sociologues, voire des philosophes. Nous devons d’ailleurs l’expression mentionnée dans notre titre, « au carrefour des disciplines », à un philosophe, Cyril Harpet, qui dans sa thèse de doctorat parle à propos du déchet d’ «objet universel à même de susciter une synergie pluridisciplinaire».

Quand on tente une approche scientifique de la notion de déchets, on est rapidement confronté à la relativité de cette dernière. Des expériences de pensée extrêmement simples permettent par ailleurs de mettre en évidence la frontière floue qui existe entre la chose « déchet » et la chose « non-déchet », un flou lié en particulier à l’absence de cadre épistémique transdisciplinaire qui rendrait intelligibles les propriétés générales de ces choses que l’on qualifie de déchets. Pour tenter de combler ce manque, nous proposons une approche systémique de la notion de déchet. Nous relions cette notion à des objets ontologiques plus rigoureusement définis et mettons en évidence des propriétés élémentaires non seulement attractives d’un point de vue théorique, mais potentiellement pertinentes d’un point de vue pratique dans un contexte où le débat fera peut-être bientôt rage, si ce n’est déjà le cas, entre tenants du « zéro déchet », partisans de l’économie circulaire, sceptiques d’ une gestion industrielle « high tech » des déchets, défenseurs de la décroissance ou fidèles du « business as usual ».

Christian Duquennoi est ingénieur de recherche, spécialiste des bioprocédés de valorisation des déchets, à Irstea. Depuis de nombreuses années, il s’intéresse à ce curieux objet de recherches pluridisciplinaires par essence, les déchets, bien au-delà des technologies permettant leur traitement ou leur valorisation. En ce sens, il a écrit Les Déchets, du big bang à nos jours, aux éditions Quæ en 2015 et a été coordonnateur scientifique de Déchets : changez-vous les idées, écrit par Isabelle Bellin aux éditions Quæ en 2018.

CÉCILE GODEFROY

Ut Pictura Musica ? Représentations de la musique dans le cubisme de Picasso.

Si Picasso s’est plu à déclarer ne pas aimer la musique, une attention portée au corpus peint, dessiné et sculpté de son œuvre permet de déceler un intérêt considérable pour l’imaginaire musical. Dès les premières années, scènes de cabaret et de cirque, saltimbanques-musiciens et joueurs de luth, se succèdent suivant un langage pictural en constant renouvellement. La rémanence des guitares et des mandolines, puis des violons, dans les années cubistes est significative de l’intérêt voué, par les cubistes en général, Picasso en particulier, aux instruments à corde, que ce dernier collectionne et dont le corps creux lui offre d’expérimenter le volume et le dessin, le contenu et le contenant, le vide et le plein, jouant de l’inversion des signes de la représentation. La guitare, parce qu’elle renvoie davantage aux origines espagnoles de Picasso et qu’elle symbolise le corps de la femme, constitue un motif de prédilection développé dans la peinture, les papiers collés et les assemblages : conciliant culture savante et populaire, sacré et profane, langage cubiste et illusionnisme, l’instrument redevient objet en trois dimensions, soit une nature morte tangible, hissée à l’échelle de l’atelier. Pendant la phase synthétique, Picasso étend son champ lexical aux partitions de chansons populaires qui creusent le rapport entre art présupposé savant (la peinture, détournée de ses conventions) et vernaculaire (Déodat de Séverac, Marcel Legay, Fragson) sur le mode de la fragmentation cubiste. Notre intervention consistera à réévaluer les modalités de représentation cubiste de la musique chez Picasso afin d’en examiner l’origine et la portée esthétique.

Cécile Godefroy est docteur en histoire de l’art contemporain, elle enseigne à New York University – Paris. Critique d’art et commissaire d’exposition indépendante, elle a récemment co-organisé les expositions « Picasso. Sculptures » au Musée national Picasso-Paris et au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles – Bozar (2016-17) ; « Sonia Delaunay. Les couleurs de l’abstraction », au Musée d’art Moderne de la Ville de Paris et à la Tate Modern de Londres (2014-15). Auteur d’essais sur l’art moderne et contemporain, elle a récemment codirigé l’ouvrage Picasso dans l’atelier/Picasso in the Studio (Cahiers d’art, 2015), et elle prépare actuellement l’exposition « Les Musiques de Picasso » au Musée de la Musique – Philharmonie à Paris (printemps-été 2020).

THOMAS SCHLESSER

Ces choses qui font rêver, de la cervelle de chat au demi-masque de métal : une autre histoire de l’objet des fantasmes…

Illustration en page d’accueil :

Anna-Eva Bergman, [Non titré], 1950, Tempera et encre de Chine sur panneau de bois isorel, 12,4 x 27,7 cm, Collection Fondation Hartung-Bergman

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