« Arts et Sociétés » (Sciences Po) du 21 au 23 juin 2013

Comme chaque été, Laurence Bertrand Dorléac organise des ateliers à la Fondation Hartung-Bergman. Le thème cette année sera « Guerre et Paix ». 

Avec la partcicipation de: Laurence BERTRAND DORLEAC, Thibault BOULVAIN, Christian INGRAO, Daniel MALINGRE, Sophie RISTELHUEBER, Daniel SHERMAN, Sylvain VENAYRE, Estelle ZHONG.

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Arts et Sociétés, Lettres du Séminaire, par Laurence Bertrand Dorléac.


Résumé des interventions:

 

Laurence BERTRAND DORLEAC


Les désastres de la guerre. 1800-2014. Jalons pour une exposition

Depuis toujours, l’art était dominé par la bataille héroïque quand la guerre, placée au centre des valeurs de la société, fut à partir des campagnes napoléoniennes de plus en plus considérée par les artistes en pionniers sous toutes ses faces, et jusqu’aux plus atroces dans  ses conséquences sur les humains, les animaux, les choses. Mieux, la nécessité de la guerre comme épisode fondamental et inévitable de l’histoire humaine n’allait plus jamais faire consensus, ce dont témoignent puissamment les représentations jusqu’à présent. L’exposition que nous préparons devrait isoler des « tournants » à chaque montée aux extrêmes singulière en son action et en ses effets. Elle devrait montrer de quelle façon les artistes durent à chaque fois reconsidérer la tradition, leur outillage technique et mental pour rendre sensibles sinon visibles les désastres.

Laurence Bertrand Dorléac est historienne de l’art, professeur à Sciences Po Paris, où elle occupe la chaire Histoire de l’art et Politique, dirige le séminaire Arts et Sociétés (Centre d’histoire), et publie La Lettre du séminaire grâce au soutien de la Fondation de France. Elle est l’auteur de L’art de la défaite, Seuil, 1993, 2008, 2010 ; trad. anglaise, Getty Research Institute, 2008 ; L’ordre sauvage. Violence, dépense et sacré dans l’art des années 1950-1960, Gallimard, 2004 ; Après la guerre, Gallimard, 2010 ; Contre-Déclins. Monet et Spengler dans les jardins de l’histoire, Gallimard,  2012.  Elle est co-commissaire de : L’art en guerre en France, 1938-1947 au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris et Guggenheim de Bilbao, 2012-2013 ; commissaire générale de l’exposition  Les désastres de la guerre. 1800-2014,  Louvre-Lens (mai-octobre 2014).


Christian INGRAO

Le guerrier, le chasseur, l’ingénieur : pour une histoire totale des politiques de lutte contre les partisans. L’exemple du front ouest, 1941-1945

Le présent projet s’amorce autour d’un constat : il est impossible de faire l’histoire des guerre de partisans en prenant en compte toutes les dimensions des acteurs étatiques. Les politiques de lutte contre les partisans semblent être régies par le Principe d’incertitude d’Heisenberg, à la fois corpusculaire et ondulatoire, à la fois politiques étatiques frappées dans leur grande brutalité de rationalité instrumentale et chasse à l’homme sanglante et nauséeuse pour les soldats qui la pratiquent.

En partant du cas nazi en Pologne, en URSS et en Yougoslavie entre 1941-1945, on  tentera ainsi de décrire d’une part une démarche qui définit un séquençage de ces politiques en différents stades d’évolution, dont on éprouvera la généralisation à d’autres guerres de partisans (Viet-Nam, Algérie, Afghanistan actuel) et d’autre part une anthropologie historique des acteurs de terrain, marquée au sceau de la cynégétique et des imaginaires pastoraux des sociétés occidentales.

Christian Ingrao (1970), agrégé d’histoire et docteur de l’université d’Amiens, est chargé de recherches au CNRS, où il dirige l’Institut d’Histoire du Temps Présent. Il est spécialiste d’histoire du nazisme et de la violence de guerre au 20ème et 21ème siècles.
Principales publications :  
Les chasseurs noirs. Essai sur la Sondereinheit Dirlewanger, Paris Perrin, 2006.
Croire et détruire. Les intellectuels dans le service de renseignement de la SS, Paris Fayard, 2010.


Daniel SHERMAN

“Ce qui pourrait être fait”:  L’UNESCO, l’angoisse de la guerre, et la sauvegarde des monuments historiques aux années 1950

A la fin des années 1940 et tout au long des années 1950, l’UNESCO, installée dès sa fondation en1946 à Paris, reçoit une correspondance abondante sur la nécessité impérative de protéger les monuments historiques des risques de destruction.  Les lettres d’étudiants, architectes, professeurs, amateurs en retraite, sont arrivées de partout:  la France, les Pays-Bas, l’Inde, les Etats-Unis, l’Australie.  Les inquiétudes exprimées sont variables, portant, qui sur l’indifférence des autorités, qui sur les conséquences du développement économique et industriel, d’autres encore sur ses les périls naturels.  Mais au milieu des ruines de l’après-guerre, la menace d’une guerre même plus destructive, et la fragilité de la paix que devait incarner l’UNESCO, constituent une couche toujours sous-jacente, et parfois évidente, des soucis exprimés sur le sort des monuments.  Au cours de quelques réflexions très liminaires provoquées par ces lettres et les échos qu’elles ont au sein de l’organisation même,  j’essaierai de cerner les enjeux des débats sur la protection des monuments.  Trop souvent rélégués au fond d’une histoire axée sur l’élaboration de textes juridiques phares, dont déjà en 1954 la convention de La Haye sur la protection des biens culturels en cas de conflit armé, ce que l’on peut appeler le militantisme en faveur des monuments historiques mérite bien un examen et une interrogation plus approfondis.  En mettant en rapport le mouvement de sauvegarde avec des textes parallèles et des concepts liés, notamment celui des droits de l’homme, mon intervention proposera une nouvelle approche intégrée à l’histoire culturelle  et politique du patrimoine.

Historien de formation, Daniel Sherman est professeur d’histoire de l’art à l’University of North Carolina, Chapel Hill.  Spécialiste de l’histoire culturelle de la France contemporaine, ses recherches ont porté sur des sujets variés, tels les musées de province au XIXe et les monuments aux morts de la première guerre.  Parmi ses ouvrages pourrait-on signaler The Construction of Memory in Interwar France (1999) et French Primitivism and the Ends of Empire, 1945-1975 (2011), tous deux honorés de plusieurs prix scientifiques aux Etats-Unis.  Il a aussi dirigé de nombreux ouvrages collectifs, dont Museum Culture:  Histories, Discourses, Spectacles (1994) et Museums and Difference (2008).  Au printemps 2014, il sera membre de l’Institut de’Etudes Avancées de Paris, où il poursuivra des recherches en vue d’un livre sur les musées, l’archéologie, et le concept de biens culturels en France et ses colonies de la fin du XIXe à nos jours. 


Sylvain VENAYRE

Les guerres lointaines montrées aux Européens : le cas Jules Verne

L’œuvre de Jules Verne a souvent été résumée à l’assouvissement, par les jeunes gens, du double désir des voyages et de la technique. Les commentateurs y ont très rarement reconnu un thème pourtant omniprésent : celui de la guerre et, plus précisément, des guerres conduites au loin par les Européens. De nombreuses scènes des Voyages extraordinaires ont en effet pour cadre les campagnes militaires outre-mer de la France et de l’Angleterre – ou encore les guerres qui, loin de l’Europe, alimentaient alors les débats et les rêveries, à commencer par la Civil War américaine. Très souvent, ces scènes étaient redoublées par des dessins. Ces illustrations étaient certes très différentes des montages photographiques que devait réaliser un siècle plus tard Martha Rosler. Néanmoins, ne poursuivaient-elles pas un objectif assez proche : « Bringing the War Home » .

 Cette communication sera fondée sur une lecture exhaustive des Voyages extraordinaires et sur une analyse de la totalité des illustrations de l’édition Hetzel. On y appliquera un questionnaire assez simple : quelles furent les guerres les plus souvent mises en scènes par Jules Verne ? De quelle façon ? Pourquoi ? Quelle fonction Verne leur reconnaissait-il ? Et comment comprendre que la postérité n’ait pas retenu ce thème central d’une œuvre qui demeure, jusqu’à aujourd’hui, la plus diffusée de toutes celles produites par les écrivains français du xixesiècle ?

L’époque où vécut Jules Verne fut celle de l’avènement des grands conflits modernes (guerre de Crimée, Civil War américaine…) et de la définition de la politique moderne de colonisation (en Afrique principalement). Mais elle fut aussi le moment d’une quasi-absence des guerres en Europe même (la plupart des héros de Verne sont des Britanniques, en un temps où le territoire de la Grande-Bretagne était vierge de tout conflit). Enfin, cette époque vit émerger, sous les auspices de l’illustration et de la presse de masse, des réflexions nouvelles sur les moyens de la saisie du monde. Comment ne pas penser que, dans ce cadre, les Français firent massivement une expérience nouvelle : celle de cette déréalisation des combats, naguère mise en images par Martha Rosler ? Mais, d’un autre côté, comment en être sûr ? Ouvrons donc à nouveau nos vieux livres de Jules Verne, et relisons-les différemment. 

Maître de conférences HDR au Centre d’histoire du XIXe siècle de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Sylvain Venayre est notamment l’auteur de La Gloire de l’aventure. Genèse d’une mystique moderne. 1850-1940 (Paris, Aubier, coll. « Historique », 2002), de Panorama du voyage. Mots, figures, pratiques. 1780-1920 (Paris, Les Belles Lettres, coll. « Histoire », 2012) et de Les Origines de la France. Quand les historiens racontaient la nation (Paris, Seuil, coll. « L’Univers historique », 2013). Ses travaux actuels concernent l’histoire du monde et de ses représentations, l’histoire des guerres lointaines et la culture de l’illustration.


Estelle ZHONG

Bringing the Enemy Home : la stratégie de la conversation chez Jeremy Deller et Michael Rakowitz

« It is a post-activist project. It is neither pro nor anti war. It is about the war »,

Jeremy Deller, à propos de son oeuvre, It Is What It Is. Conversations about Iraq (2009).

It Is What It Is. Conversations about Iraq(2009) de Jeremy Deller, et Enemy Kitchen (2004-), de Michael Rakowitz, traitent de la guerre en Irak (2003-2011). Ils ne sont pas conçus comme des projets partisans, mais comme des projets dialogiques : il s’agit de créer des conversations entre participants, où se confrontent opinions et représentations de la guerre en cours.  Deller accompagné de l’artiste et traducteur irakien, Esam Pasha, et de Jonathan Harvey, sergent dans l’armée américaine, partent sur les routes des Etats-Unis à la rencontre de la population. Rakowitz, d’origine irako-américaine, enseigne les recettes irakiennes de sa mère à des collégiens américains ; il monte aussi des stands de kebabs irakiens où cuisinent ensemble vétérans de la guerre d’Irak et de la guerre du Vietnam.

Notre hypothèse d’investigation est la suivante : ces projets marquent un changement de la finalité d’une œuvre engagée. Ce changement serait lié à deux facteurs différents : d’une part à une évolution de la réception, liée à l’histoire des médias ; d’autre part à une mutation de la figure de l’artiste engagé. En effet, jusque dans les années 1970, selon le paradigme de l’art critique mimétique (J. Rancière), une œuvre engagée fonctionnait selon une stratégie du choc : donner à voir les horreurs de la guerre. Elle visait un double effet : une prise de conscience de la réalité cachée – « on ne savait pas » – et un sentiment de culpabilité à l’égard de la réalité déniée – « on ne fait rien » (ex : Bringing The War Home. House Beautiful (1967-1972), Martha Rosler). Une œuvre engagée avait donc comme finalité de provoquer une mobilisation du spectateur, une prise de position forte. Ce type d’œuvres engagées venaient ainsi en partie répondre au problème de la sous-information quant à la guerre en cours, qui pouvait amener le public à dire : « je ne me rendais pas compte ». Aujourd’hui, l’engagement artistique s’inscrit dans un contexte médiatique très différent : nous sommes dans une situation de surabondance d’images et d’informations. Le public est ainsi confronté à un nouveau problème : celui de la discrimination entre les informations sur la guerre, auxquelles il est constamment exposé. On peut ainsi penser que c’est dans ce contexte particulier que succède à la stratégie du choc, cette nouvelle stratégie de la conversation. Celle-ci ne provoque plus une mobilisation du spectateur, mais permet de transformer les représentations fantasmées de l’Ennemi en connaissance des individus et de la culture irakiennes. Il s’agit de détruire une des conditions de possibilité de la guerre : l’assignation à identité qui réduit une multiplicité d’individus  à un ensemble homogène d’ennemis. Cette mutation de finalité de l’art engagé peut également s’expliquer par un changement d’attitude de l’artiste qui a acté « l’indignité [qu’il y a] à parler pour les autres » (M. Foucault). Il est désormais médiateur et crée autour de la parole des autres : celle des acteurs et des profanes.

Ancienne élève de l’Ecole Normale Supérieure de Lyon, Estelle Zhong effectue actuellement une thèse d’histoire de l’art à Sciences-Po Paris, sous la direction de Laurence Bertrand Dorléac. Elle s’intéresse àl’inscription de l’art participatif dans le contexte démocratique et néo-libéral actuel, notamment en Grande-Bretagne. Elle travaille ainsi sur la manière dont l’art participatif révèle l’évolution de l’individualisme, et comment il permet de penser de nouvelles manières d’être ensemble :des communautés de singularités. 

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